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 IA : À l’ESSEC, on préfère former les maîtres d’orchestre que suivre les partitions

Par Thierry Derouet, publié le 07 mai 2025

Sous les verrières du Grand Palais, où le salon ChangeNOW a posé ses valises le temps d’un rendez-vous dédié aux solutions durables, l’ESSEC Business School dévoilait les premières « pépites » de son Grand Prix AI for Responsible Leadership 2025. À cette occasion, Abdelmounaïm Derraz, directeur exécutif du MetaLab et co-responsable de l’initiative, détaille la stratégie d’une école résolue à conjuguer excellence académique, responsabilité éthique et impact mesurable dans le champ de l’intelligence artificielle.

“L’ESSEC porte, depuis longtemps déjà, un ADN axé durabilité et leadership responsable », rappelle Abdelmounaïm Derraz. Cet engagement se traduit par la structuration de plusieurs chaires et instituts qui forment la colonne vertébrale stratégique de l’école. Parmi eux, le MetaLab — Institute for AI, Data and Society, qu’il dirige depuis mars 2024, joue un rôle pivot dans l’intégration des sciences de la donnée et de l’IA au sein des programmes, des travaux de recherche et des partenariats.

Le MetaLab regroupe à la fois des enseignants-chercheurs spécialisés dans les mathématiques, la modélisation ou la gestion des risques, mais aussi des experts en management qui analysent les effets de l’IA sur la créativité, l’organisation du travail, l’efficience ou encore l’adoption technologique. « Nous couvrons toute la chaîne de valeur, de la production des modèles jusqu’à l’adoption », précise-t-il. Cette approche transversale fait écho à la collaboration historique entre l’ESSEC et CentraleSupélec, dont est issu un double diplôme et un master coconstruit, formant des profils hybrides entre data science et business strategy.

Bâtir des ponts entre technologie et gouvernance

Face à la complexification des enjeux numériques, la capacité à articuler vision stratégique et compréhension technologique devient, selon Abdelmounaïm Derraz, un impératif. « Aujourd’hui, différencier la part technologique de la part business devient compliqué. C’est intimement lié. » Ce lien entre deux mondes que l’on opposait encore récemment est désormais au cœur du positionnement de l’école, qui entend former des profils capables de jouer le rôle d’« ambassadeurs » technologiques auprès des directions générales.

Ce travail d’intermédiation ne vise pas seulement à faire dialoguer ingénieurs et managers, mais à bâtir une culture commune. « Il ne s’agit plus seulement de dialoguer : il faut bâtir des ponts. »

Un Grand Prix pour changer l’échelle

C’est pour identifier et valoriser ces usages vertueux de l’intelligence artificielle que l’ESSEC a lancé, avec le soutien d’Accenture, le Grand Prix AI for Responsible Leadership. L’objectif de ce prix est clair : récompenser des projets déjà déployés, ayant démontré un impact mesurable sur des enjeux humains, environnementaux ou économiques.

« Nous avons sélectionné trois projets remarquables parmi quarante dossiers », explique Abdelmounaïm Derraz. Il cite d’abord un outil d’analyse de l’impact émotionnel du contenu en ligne, conçu pour minimiser les effets psychologiques néfastes. Puis une solution développée par AXA, qui permet aux agents de terrain d’accéder à l’information en quelques secondes, et non plus en plusieurs jours. Enfin, le projet OpenDecide, qui s’appuie sur les sciences cognitives pour améliorer la dynamique de travail d’équipe.

Au-delà des technologies mobilisées, le directeur du MetaLab insiste sur la diversité des porteurs de projets : « Une grande entreprise, une PME et une start-up, toutes réunies autour du même objectif. » La compétition reste ouverte jusqu’au 14 mai, avec une remise des prix prévue le 18 juin.

Former sans délai, expérimenter sans attendre

L’ESSEC fait du « learning by doing » un principe fondateur. À Station F, son Institut Entrepreneuriat & Innovation accompagne plus de deux cents start-up par an. Ce soutien se traduit par du coaching, des ressources, un appui financier, mais aussi la possibilité pour les étudiants de créer leur entreprise tout en poursuivant leur formation.

Cet esprit d’expérimentation s’étend bien au-delà des murs de l’école. « Des élèves de première année du secondaire, qui n’avaient jamais codé, ont développé une application complète en une demi-journée lors d’un hackathon grâce à des outils génératifs. » Pour Abdelmounaïm Derraz, ce type d’expérience illustre à quel point l’IA est en train de transformer la notion même de compétence technique. Le défi, désormais, consiste à former non seulement des créateurs de solutions, mais des « superviseurs » de ces nouveaux agents, capables d’en comprendre les limites et les usages.

Cette dynamique interne se traduit aussi dans l’accompagnement des collaborateurs de l’ESSEC : « Il nous faut une formation continue pour nos propres staffs, pour nos chercheurs, pour nos administratifs, pour pouvoir être au niveau pour nos étudiants. »

La tentation du gigantisme ? Une course « non justifiée »

Face à la ruée mondiale vers les modèles fondationnels toujours plus massifs, Abdelmounaïm Derraz prend ses distances. Il estime que « la course effrénée au toujours plus grand n’est pas justifiée sans réflexion ». Il plaide pour une approche « optimisée, frugale, responsable », fondée sur des méthodes comme l’apprentissage par renforcement, la compression de modèles ou l’éthique de l’entraînement.

Il rappelle aussi que la France est bien placée pour incarner une autre voie : « Les meilleurs chercheurs dans le domaine de l’intelligence artificielle sont pour la plupart des Français, que ce soit chez Meta, Google, Mistral ou même OpenAI. »

Enfin, il appelle à des prises de position fermes, aussi bien du côté des institutions académiques que des gouvernements, sur la souveraineté, l’écologie et la régulation des impacts de l’IA. « La transparence ne doit pas devenir optionnelle », martèle-t-il. Et d’ajouter : « On ne peut pas empêcher des personnes d’investir sur ces grands modèles […] Par contre, on peut les aiguiller et encourager ceux qui travaillent sur les petits modèles. »

Un ingénieur passé de la modélisation à la transmission

Abdelmounaïm Derraz, directeur exécutif du MetaLab

« Je suis ingénieur de formation », rappelle-t-il simplement. Après une décennie dans les secteurs de l’assurance, de l’automobile ou de la banque, à travailler sur des projets liés à la data, Abdelmounaïm Derraz donne ses premiers cours à l’ESSEC sur la Business Data Science. L’expérience est fondatrice. Il prend ensuite la direction du master ESSEC–Centrale, avant de reprendre, depuis mars 2024, le pilotage du MetaLab.

Ce qui le motive ? « Voir grandir les étudiants, polir des diamants bruts, puis les retrouver quelques années plus tard à la tête d’une start‑up ou d’une équipe data dans un grand groupe, toujours habité par la responsabilité. » Un cycle de formation, de diffusion et d’influence qu’il espère vertueux, dans un contexte où l’IA peut devenir un puissant levier, à condition d’être mise au service d’un projet collectif durable.


Les trois projets distingués lors de ChangeNOW

Les candidatures au Grand Prix ESSEC AI for Responsible Leadership 2025 restent ouvertes jusqu’au 14 mai. Les prix Or, Argent et Bronze seront remis le 18 juin à Paris.

Les candidatures au Grand Prix ESSEC AI for Responsible Leadership 2025 restent ouvertes jusqu’au 14 mai. Les prix Or, Argent et Bronze seront remis le 18 juin à Paris.
Entreprise/ProjetProblématique traitéeSingularité et impact mesurable
OpenDecideCohésion d’équipe, gouvernance partagéeAnalyse des dynamiques de collaboration dans plus de 3 000 équipes
Emoticonnect TechBien-être émotionnel, prévention des risques psychosociauxOutil de mesure de l’impact émotionnel du contenu numérique
AXA SmartGuideSupport terrain, accessibilité de l’informationAssistant génératif multilingue pour les agents d’assurance

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